Extraits du journal d’Antoine MASSIANI

de Lama

Lieutenant au 4ème Régiment de Zouaves,

première Compagnie, premier Bataillon.

Tué à la ferme de Quennevières, près de Tracy-le-Mont, département de l’Oise, le 31 octobre 1914.

 
Dimanche 13 septembre 1914.

          Départ de Bordeaux.

Mardi 15 septembre 1914.

          8 heures du matin : Débarquement à Clermont sur Oise. 10 heures : départ pour Estrées, marche de 20 kilomètres. Arrivée à 14h.30. Entrée au cantonnement après une séance de giberne de 2h.30. Départ pour Compiègne et Carlepont par la forêt. Etape très longue, conduite par un apprenti et par un idiot. En somme, marche très pénible, avec arrêts et galops alternés.

Mercredi 16 septembre.

          3 h.30 (du matin) : nous arrivons sur la ligne de feu. Quelques balles sifflent, mais très espacées. Le canon tonne presque sans arrêt.

          Ca y est ! Nous sommes engagés. Ma compagnie à quelques pertes insignifiantes. La 2ème et la 3ème en ont de terribles. Quatre officiers sont touchés, Laprune et Genin, grièvement blessés, meurent dans la nuit. Le capitaine et le sergent-major sont blessés grièvement, le lieutenant Laurent, légèrement. L’adjudant, le fourrier, cinq sergents et quarante zouaves sont blessés. Sept zouaves sont tués.

          Au milieu de la nuit, je prends le commandement de la 3ème compagnie qui se trouve au milieu des blessés et des tués.

          Toute la nuit on entend des plaintes.

Vendredi 18 septembre.

          Mes hommes n’ont rien à manger. J’ai pu préparer une soupe, sans sel ni graisse. Je fais sécher mes hommes trempés par la pluie lors de la traversée de la forêt. J’ai eu quatre hommes blessés ainsi qu’un de mes agents de liaison, blessé par un éclat d’obus. Du pain est distribué dans la nuit, sans rien d’autre.

          Je reçois 125 réservistes. Nous faisons des tranchées. L’artillerie tire sur nous. Nous préparons la contre-attaque à la baïonnette.

          On nous signale que les Allemands occupent les tranchées et que des mitrailleuses sont devant nous. Que va donner notre opération ? Combien en reviendront ?

Samedi 19 septembre.

          Nuit agitée, énervante, pénible : la fusillade a duré presque toute le nuit. Les camarades sont trempés et transis de froid. Le 3ème zouave s’est replié en éprouvant des pertes énormes. Je reste dehors jusqu’au jour. Quel froid, bon Dieu !

Dimanche 20 septembre.

          Ma compagnie est en première ligne ; je fais construire des tranchées, mais j’ai peu d’outils ; les réservistes n’en ont pas. J’ouvre le feu. L’ennemi riposte. J’ai douze hommes blessés. Nous nous portons au carrefour des « Flainards ». Le repli est général. Nous passons la nuit dans nos tranchées.

Lundi 21 septembre.

          Etant en forêt, nous croyons pouvoir faire du café et nous allumons nos feux. Il est bu, lorsque le pousse-café arrive sous la forme d’obus de 105 mm allemand, nos fumées ont été vues et pendant ¾ d’heure nous sommes arrosés sans interruption. Quel bruit dans les arbres ! Nos tranchées sont prises d’enfilade. Le Bataillon Mingasson (1er Zouave) qui nous avait rejoint écope : six blessés, deux morts.

Mardi 22 septembre.

          La 73ème Brigade, 2ème Zouave, 2ème Tirailleurs attaque Puisaleine et Quennevières.

Mercredi 23 septembre.

          Ils sont presque à Quennevières lorsqu’ils reçoivent de nombreux coups de canon et se débandent. Mon Bataillon est aussitôt engagé pour recueillir les Tirailleurs, les pousser en avant et combler le vide. Ma compagnie est la première. Je progresse par bonds. Je suis à plat ventre, j’ai le nez dans le sol, lorsque je reçois un éclat d’obus à la tête. D’abord je me dis qu’il n’y a rien, car le choc n’est pas fort : un coup de caillou, comme j’en ai reçu étant gosse ! Mais le sang coule très fort, m’inonde la figure, mon képi est plein. Cela m’inquiète. Je me porte un peu en avant malgré les très nombreux coups de canon qui ne cessent de tomber. Je préviens que je suis blessé et je m’en vais, toujours accompagné par les éclats d’obus. Un moment, pour me reposer et m’abriter, je me mets dans une tranchée ; un soldat allemand l’occupe avant moi, mais il est mort ! je continue vers l’arrière, lorsque je vois un lièvre mort. Je le touche : il est encore chaud ! Je l’emporte... Au poste de secours, je suis soigné et le docteur me rassure. Il veut m’envoyer à l’ambulance : je m’y oppose et je reste là. je vois arriver tous les blessés. Hélas, ils sont nombreux. Ma compagnie est touchée durement. Sur un effectif de 100 hommes, j’ai 28 blessés, 3 tués et 1 disparu, mort sans doute. Joli pour cent ! Et cela pour faire le travail des Tirailleurs. Le Général Blanc m’a dit, lorsque je me portais en avant, de les ramener de force et de les tuer s’il le fallait !

          J’ai passé la nuit du 23 au 24 dans une maison, celle de la Baronne Le Fèvre (je crois). Quelle maison. Elle est sens dessus-dessous : les tiroirs, le linge, tout est par terre. quel désordre : les allemands ont commencé et les Tirailleurs ont continué je crois.

          La canonnade est incessante. On entend très bien le mugissement de l’obus qui a le sifflement lent de l’éclat ou celui plus rapide de la balle.

          N’ayant qu’à attendre, j’en profite pour mettre à jour mon journal. Cette journée du 23 est, à mon avis, glorieuse pour le 1er Bataillon du 4ème Zouave. Elle nous eut coûté moins cher si notre attaque eut été soutenue par l’artillerie. Bien au contraire, aux batteries allemandes, qui sont au moins 6, peut-être 7, soit 36 ou 42 pièces, nous opposons 2 batteries, soit 8 pièces. Notre 75 travaille, mais la différence est trop grande. Pendant notre attaque, nous ne sommes pas soutenus et l’artillerie adverse a beau jeu. Elle tape avec une joie féroce et elle continue d’ailleurs toute la journée. Quelle perte ! Capitaine Bernalin, Lieutenant de Franchieu, Adjudant-Chef Mariotti, tous de la deuxième compagnie (laquelle ne conserve que 58 de ses 100 hommes) et bien d’autres. Un zouave disait, ce matin : « Encore un coup comme celui-ci et du Bataillon Casenave il n’en restera que le chef ! »

Vendredi 25 septembre.

          Un homme est tué. L’imprudent avait sorti la tête de la tranchée. On dirait à nous voir qu’il n’y a que des Zouaves, car nous sommes toujours sur la brèche. Nuit dans la tranchée à 400 mètres de l’ennemi. J’alterne avec mes sergents pour le quart. Je dors en gendarme pendant le reste de la nuit.

Samedi 26 septembre.

          Le canon tonne depuis l’aube. Vers midi, nous sommes arrosés littéralement par la mitraille. Pendant le reste de l’après-midi, deux visites d’avions allemands qui, naturellement, nous amènent des coups de canon. Je mange deux tartines de pain dans ma journée, un peu de margarine a été donnée hier et elle remplace le beurre. Je suis touché par deux éclats d’obus au pied et à la cuisse. Le canon tape, je vous le garantis.

 

Ici se termine le journal d’Antoine Massiani !

 

Lorsqu’il transcrivit le texte, Vital MASSIANI, frère d’Antoine, y ajouta en conclusion quelques notes pertinentes :

Ici se termine le journal de mon frère.

De ce court journal d’officier de Zouave ressort pas mal de lacunes dont souffrait l’armée française à la fin de 1914 :

         -  Pas ou peu d’artillerie de campagne, « seuls nos 75 »,

         -  Pas d’artillerie lourde,

          - Pas ou peu de mitrailleuses (deux pièces par Bataillon) et trop délicates de fonctionnement tous terrains,

         -  L’impression pour les Zouaves de se sentir un peu « seul » sur ce front,

          - La manière très dure employée par le Général de Division pour qualifier un incident malheureux (quelle troupe n’a pas cédé du terrain pendant la guerre ?) survenu à un Bataillon de Tirailleurs, par ailleurs excellents combattants : en effet, le 2ème Régiment de Marche des Tirailleurs Algériens a fini la guerre avec la fourragère rouge accrochée à son drapeau.

 

 Pour en savoir plus au sujet de L'histoire officielle du Régiment de Marche de Zouaves, de l'épilogue
  et des éléments d'identification d'Antoine Massiani

Retour au du site 



    © Copyright J. Denis, 2008. Tous droits réservés