OLETTA, FEVRIER 1769

BAGNE DE TOULON, 10 NOVEMBRE 1769



Signalement des Forçats

Registre 1-0-127, condamné N° 3956

Le nommé Renuccio, dit le Rosso, cy devant volontaire au service du Roy dans la compagnie de jean
christophe Sermolanio (Cermolacce), fils de feu (ne sachant le nom ni surnom de son père) et de Marie Victoria, Marié à Marie Magdelaine ne sachant son surnom, âgé de 33 ans, natif d’Olleta en Corse, Taille Basse, cheveux, Barbe et sourcils chatains, visage long, les yeux Roux, le nez Bienfait, marqué des lettres G.A.L. Condamné à La Bastia par jugement de la chambre de la commission, le 17 juillet 1769 pour être vehementement soupçonné d’avoir eu part à la
conspiration contre les Troupes de Sa Majesté, au village d’Olleta, à Vie... VIE.

Passé au bagne de Marseille, le 3 avril 1770, Renuccio sera libéré le 7 décembre 1778 - le même jour que
Benedetto Albertini, curé de Corscia - par ordre du Roi du 23 septembre 1778.


Le mot conspiration a maintes fois été employé au sujet de l’action prévue par les Corses contre l’armée française à Oletta dans la nuit du 13 au 14 février 1769.

En premier lieu, ne perdons pas de vue le contexte du moment. Après leur défaite à Borgo, le 10 octobre 1768, les Français avaient établi leur quartier principal à Oletta avec 15 compagnies levées des Régiments Royal Italien, Rouergue, Royal-Roussillon, La Marine, Languedoc mais aussi la Légion de Soubise et le régiment suisse d’Eptingen. En aucune façon l’abbé François Antoine Saliceti, surnommé Peverino, fils de feu Giovan Carlo, et ses hommes n’avaient décidé à priori d’égorger les soldats français. Pasquale de'Paoli, fort de ses victoires à San Nicolao et surtout à Borgo, visait Oletta en tant que plaque tournante(1) permettant de contenir Saint-Florent et Bastia où les soldats du Roi de France étaient en surnombre.

Chauvelin, le chef français, ne portait pas la même appréciation. Face à la témérité des Corses il réclamait alors huit bataillons supplémentaires (4 000 hommes) tout en se vantant de ramener l’île à la raison dans les meilleurs délais. De son côté, Pasquale de'Paoli qui avait constaté la prédilection des chefs militaires Français pour Saint-Florent pensait que la prise de Barbaggio,
programmée pour la nuit du 13 au 14 février 1769, et dans lequel la garnison Française était de 500 hommes, serait plus aisée et lui permettrait d’annuler l’avantage pris par les Français depuis le mois d’août 1768. L’action envisagée sur Oletta visait à empêcher les bataillons français et étrangers, environ 1500 hommes établis dans le village, de porter secours au Régiment de La Marck, débarqué à Saint-Florent le 17 octobre 1768 et stationné à Barbaggio.

C’est ce qu’il advint ces 13 et 14 février 1769 !

160 soldats du Régiment de La Marck, aux ordres du capitaine des Grenadiers Hauser, se rendirent après avoir été attaqués par mille deux cents Corses qui les épargnèrent.

Par la suite, ces prisonniers français furent échangés rendus à leur pays.

Il n’en fut pas de même le 15 février lorsque les renforts français aidés de volontaires Corses ne firent aucun quartier. Les Corses auxquels s’étaient joints mille cinq cents patriotes conduits par Clemente de'Paoli se trouvèrent encerclés à sept cents dans Barbaggio. « Il y eut de part et d’autre un acharnement inconcevable... (les Français) n’eurent que quatre vingt-cinq hommes, tant tués que blessés, mais plus de six cents Corses restèrent sur la place ». «La Résistance que voulurent faire ces rebelles fut funeste à la plus grande partie qui fut égorgée»
(2).

Le mot conspiration est évoqué en premier lieu par Honoré François de Perach, Chevalier d’Ampus, lieutenant-colonel du Régiment de Languedoc, qui vient de faire arrêter quatre hommes. Par la suite, Joseph François Deslacs, Marquis d’Arcambal, Colonel-propriétaire du Régiment de Rouergue, utilise le terme trahison, faisant un amalgame entre les volontaires à la solde du Roi de France (pour ceux-ci, le terme est exact) et les civils.

Dès le 12 février Arcambal procède à l’appel des habitants du village et constate qu’une vingtaine d’entre eux, en particulier les Saliceti, sont absents.

Dix huit habitants d’Oletta (la plupart dénoncés par Pietro Boccheciampe, 36 ans) dont Jean- Christophe Cermolacce, 34 ans, Paolo Vincenzo Santamaria, Podestà, Giovanni Saliceti, père du commun et Giovanni Oletta-Montaggione, le notaire, âgé de 75 ans, sont accusés du crime de trahison et envoyés dans les cellules de la citadelle de Bastia. Les quatre premiers arrêtés sont Agostino Agostini, dit Titino, frère du conseiller Pignatone, l’abbé Paolo Francesco Leccia, dit Moglione, fils de Marco Maria, Andrea Santamaria du Montaggione, sa femme Gloria Santamaria et un de leurs trois fils : Francesco Antone Santamaria, dit Totto, 24 ans.

Seront incarcérés par la suite deux autres fils d’Andrea et Gloria : Pietro Maria Santamaria et l’abbé Joseph Santamaria, puis Domenico Cermolacce, 25 ans, fils de Giovan Giacomo, et son cousin Renuccio, surnommé Il Rosso, 33 ans, fils d’Andrea. Ces deux derniers sont volontaires au service des Français dans la compagnie du capitaine Jean-Christophe (Cermolacce, 34 ans), Francesco Stefano Leccia (beau-frère de Renuccio), Don Pietro Leccia, 23 ans, laboureur-vigneron, fils de Stefano, Maria Santamaria, veuve d’Antoine du Montaggione, Santo, fils de Bernardino, volontaire, Paolo Santo Leccia, 50 ans, q. Antoine Marie, volontaire, Pietro Antone, dit Totto et trois frères du Poggio eux aussi volontaires à la solde du Roi dans la compagnie de Jean Christophe Cermolacce : Giovanni Camillo Guidoni, 33 ans, Giovanni Santo Guidoni et Giovanni Guidoni, 26 ans.

Il ne faudra pas plus de quelques jours au Comte de Marbeuf, toujours prompt à charger les accusés, pour adjoindre aux qualificatifs de conspiration et de complot contre le service du Roi celui de crime de lèse majesté. Ce dernier permet l’utilisation d’un article d’une Ordonnance rendant tous les accusés, y compris les civils, passibles du Conseil de guerre et répond à la mise en oeuvre "d’une justice plus éclatante".

Outre le chef de la prétendue conspiration, l’abbé Saliceti, d’autres habitants sont catalogués comme étant passés du côté des rebelles. Nous trouvons tout d’abord son neveu, Orlando Saliceti q. Giovan Anto, mais aussi Giovan Domenico Saliceti (président) q. Don Jean et son frère, Don Tomaso, Andrea Saliceti, fils du capitaine Virginio, Pietro Saliceti, (président), fils d’Angelo Matteo, Giovan Teramo fils d’Ignazio, Giovan Domenico Santamaria, dit San Fiorenzo, fils d’Andrea (4ème frère), Giovan Giacomo Costa fils de Francesco Saverio, Giacomo Leccia q. Pietro, Giovan Giacomo Leccia, tous deux beaux-frères de Don Pietro Leccia, Paolo Francesco Clavesani q. Giovan Filippo, Domenico Francesco Clavesani, Pietro Maria q. Anto Giudice, de Guado in Là. Ces deux derniers cités devaient conduire un détachement de Nationaux à travers les bois de Suariccie.

D’autres encore seront cités au fil des témoignages : Joseph Santo Leccia, fils de Domenico Paolo, volontaire dans la compagnie du capitaine Francesco Maria Leccia, deux frères de Guado in Là : Giuseppe Maria et Bartolomeo q. Dominique, Domenico Agostini, Mathieu Agostini, capitaine de Paoli, fils d’Agostino ainsi que Angelo Francesco du Poggio et ses deux fils : Agostino et Domenico, Giovan Giacomo Cermolacce, père de Domenico un des quatre volontaires, Pelone, Pasquino, Giovan Carlo, Papaolo de Guado in Là. Santo, fils de Bernardino, Memo, fils de Cesareo, du Poggio, tous deux volontaires, et Francesco Leccia, dit Cecco, q. Gioan Gilio.

Le jugement des prisonniers et des contumaces est rendu le 17 juillet 1769. Le président du tribunal est l’intendant Chardon, accompagné de dix membres de la magistrature et de l’armée : Jean-Joseph Baude, rapporteur, Jean-Aimé de l’Isle, régisseur général des vivres en Corse, François de Maupassant, commissaire des guerres, Jean-Etienne Delaitre, Louis-Antoine Drolenvaux, commissaire des guerres, Jacques-Robert de Montcarville, commissaire des guerres, Henri-Artus de Manscourt, Jean-Baptiste Collet de Messine, Etienne-Louis Ponce Serval et Jean- Antoine Tisset de la Motte, commissaire des guerres. Pierre-Ambroise Chambellan tient le rôle de procureur général, et Mathieu Cristofari celui d’interprète.

Comme il est d’usage à cette époque, les condamnés subissent après le jugement des interrogatoires et des tortures avec la question ordinaire, dite des canettes, et la question extraordinaire, dite de la corde.

L’exécution du jugement intervient le lundi 25 septembre 1769, en soirée. cinq habitants du village sont rompus vifs sur la place du couvent. Ce sont Don Pietro Leccia, Francesco Antonio Santamaria dit Totto, Jean Camille Guidoni, Jean Guidoni et Dominique Cermolacce.

C’est à ce moment qu’intervient l’acte courageux de celle que l’on nommera par la suite l’antigone Corse, Maria Gentile Belgodere, âgée de 22 ans, fiancée vraisemblablement à Giovanni Guidoni. Maria Gentile est la fille de Maria Catharina Leccia, 50 ans, veuve.

Dans le courant de l’été 1769, l’administration (militaire) française procèdera à un dénombrement de la population (et du cheptel). Le résultat obtenu est sans équivoque. A Oletta sont recensés 87 feux et 77 demi feux.

Une proportion inhabituelle !

En effet, nous avons effectué quelques sondages dans les pieve de Ghjunsani, Niolu, Caccia et celles du Cap Corse. Pour ce qui concerne les demi-feux, on trouve une fourchette de 30 à 50%. A Oletta, l’on approche les 90%. A Vallecalle le résultat est encore plus significatif : 22 demi-feux et 24 feux.

Toujours à Oletta, l’on recense 119 hommes pour 184 femmes. 62 d’entre elles sont veuves. 9 sont âgées de plus de soixante ans. les 53 autres (sauf une) ont des enfants en bas âge, dont 6 sont âgés d’un an ce qui implique la présence d’un père dans les deux ans précédents tout au plus. Il apparaît que les familles les plus touchées portent les patronymes Saliceti, Leccia, Santamaria, Clavesani, Guidoni et Agostini.

La cause de cette absence quasi généralisée est connue. Un nombre conséquent des hommes du village a pris partie pour Pasquale de’Paoli(3) . Ils ont participé à l’attaque de Barbaggio. C’est le cas de l’Abbé Pietro SalicetiGiovan Domenico Saliceti, Don Tomaso Saliceti, Andria Saliceti, Rolando Saliceti, Giovan Teramo, Giovan Domenico dit San Fiorenzo, fils d’Andrea Santamaria, Giovan Giacomo Costa, Giacomo Leccia, Pietro Maria q. Anton Giudice de Guado in Là, Paolo Francesco Clavesani, Bartolomeo et Giuseppe Maria de Guado in Là, Santo Leccia, volontaire, Angelo Francesco Agostini de Poggio et ses deux fils Agostino et Domenico.

L’issue de l’attaque de Barbaggio tourne à l’avantage des français. Les soldats du Roi font prisonniers environ 300 hommes. Si l’on connaît le sort réservé aux 232 prisonniers Corses de Patrimonio et de Nonza en août 1768, aucune trace n'a été trouvée pour ceux de Barbaggio.

Le même jour, toujours à Barbaggio, 300 autres Corses sont tués dont l’abbé Saliceti. La plupart ont été égorgés si l’on en croit le récit français.

Comme tant d’autres villages, Oletta aura ainsi contribué à la cause nationale Corse et le tribut payé par ses hommes sera lourd, très lourd.

Jacques DENIS

 (1) Les Français qui avaient étudié le terrain dans le moindre détail, établiront 16 voies de communication, dont le point de départ est Saint-Florent, couvrant l’île au nord du Golo. Au moins cinq d’entres elles, relativement aisées et larges, passaient par Oletta, le Poggio ou Guado in Là avant que de franchir Bocca A Torre ou Bocca di Sant Antonio, à l’Est ou se diriger vers Olmetta au Sud.

(2) La Corse, précis historique des origines à 1796, Verard. Tome I, page 91.

(3) Ce n’est pas une nouveauté. Par exemple, Michele Montalti et Domenico Francesco Clavesani comme l’un des Boccheciampe (Pietro ?) ont participé à des actions militaires depuis le début des années 1760.

   

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