Signalement des Forçats
Registre 1-0-127, condamné N° 3956
Le nommé Renuccio,
dit le Rosso, cy devant
volontaire au service du Roy dans la compagnie de jean christophe Sermolanio
(Cermolacce), fils de feu (ne sachant le nom ni surnom de son
père) et de Marie Victoria,
Marié à Marie Magdelaine ne sachant son surnom,
âgé de 33 ans, natif d’Olleta en Corse, Taille Basse, cheveux,
Barbe et sourcils chatains, visage long, les yeux Roux, le nez Bienfait, marqué des lettres G.A.L.
Condamné à La Bastia par jugement de la chambre de la commission, le 17 juillet 1769 pour
être vehementement
soupçonné d’avoir eu part à la
conspiration contre les Troupes de Sa
Majesté, au village d’Olleta, à Vie... VIE.
Passé au bagne de Marseille, le 3 avril 1770, Renuccio sera
libéré le 7 décembre 1778 - le même jour que
Benedetto Albertini,
curé de Corscia -
par ordre du Roi du 23 septembre 1778. |
Le mot conspiration a maintes fois été
employé au sujet de l’action prévue par les Corses
contre l’armée française à Oletta dans la
nuit du 13 au 14 février 1769.
En premier lieu, ne perdons pas de vue le contexte du moment.
Après leur défaite à Borgo, le 10 octobre 1768,
les Français avaient établi leur quartier principal
à Oletta avec 15
compagnies levées des Régiments
Royal Italien, Rouergue, Royal-Roussillon, La Marine, Languedoc mais
aussi la Légion de Soubise et le régiment suisse
d’Eptingen. En aucune façon l’abbé
François Antoine Saliceti, surnommé Peverino, fils de feu
Giovan Carlo, et ses hommes n’avaient décidé
à priori d’égorger les soldats français. Pasquale de'Paoli,
fort de ses
victoires à San Nicolao
et surtout à Borgo,
visait Oletta
en tant que plaque tournante(1) permettant de contenir Saint-Florent et Bastia
où les soldats du Roi de France étaient en
surnombre.
Chauvelin, le
chef français, ne portait pas la même
appréciation. Face à la témérité des
Corses il réclamait alors huit bataillons supplémentaires
(4 000 hommes) tout en se vantant de ramener l’île à
la raison dans les meilleurs délais. De son côté, Pasquale de'Paoli
qui avait constaté la prédilection des chefs militaires
Français pour Saint-Florent
pensait que la prise de Barbaggio,
programmée
pour la nuit du 13 au 14 février 1769, et dans lequel la
garnison Française était de 500 hommes,
serait
plus aisée et lui permettrait d’annuler l’avantage
pris par les Français depuis le mois d’août 1768.
L’action envisagée sur Oletta visait à
empêcher les bataillons français et étrangers,
environ 1500 hommes établis dans le village, de porter secours
au Régiment de La Marck, débarqué à Saint-Florent
le 17 octobre 1768 et stationné à Barbaggio.
C’est ce qu’il advint ces 13 et 14 février 1769 !
160 soldats du Régiment de La Marck, aux ordres du
capitaine des
Grenadiers Hauser, se
rendirent après avoir été
attaqués par mille deux cents Corses qui les
épargnèrent.
Par la suite, ces prisonniers français furent
échangés rendus à leur pays.
Il n’en fut pas de même le 15 février lorsque les
renforts français aidés de volontaires Corses ne firent
aucun quartier. Les Corses auxquels s’étaient joints mille
cinq cents patriotes conduits par Clemente de'Paoli se
trouvèrent encerclés à sept cents dans Barbaggio.
« Il y eut de part et d’autre un acharnement
inconcevable... (les Français) n’eurent que quatre
vingt-cinq hommes, tant tués que blessés, mais plus de
six cents Corses restèrent sur la place ». «La
Résistance que voulurent faire ces rebelles fut funeste à
la plus grande partie qui fut égorgée»(2).
Le mot conspiration est évoqué en premier lieu par Honoré
François de Perach, Chevalier d’Ampus,
lieutenant-colonel du Régiment de Languedoc, qui vient de faire
arrêter quatre hommes. Par la suite, Joseph François
Deslacs, Marquis
d’Arcambal, Colonel-propriétaire du
Régiment de Rouergue,
utilise le terme trahison, faisant un
amalgame entre les volontaires à la solde du Roi de France (pour
ceux-ci, le terme est exact) et les civils.
Dès le 12 février Arcambal
procède à
l’appel des habitants du village et constate qu’une
vingtaine d’entre eux, en particulier les Saliceti, sont absents.
Dix huit habitants d’Oletta
(la plupart dénoncés
par Pietro Boccheciampe,
36 ans) dont Jean-
Christophe Cermolacce,
34 ans, Paolo Vincenzo
Santamaria, Podestà, Giovanni Saliceti,
père du commun et Giovanni
Oletta-Montaggione, le notaire,
âgé de 75 ans, sont accusés du crime de trahison et
envoyés dans les cellules de la citadelle de Bastia. Les quatre
premiers arrêtés sont Agostino Agostini, dit Titino,
frère du conseiller Pignatone,
l’abbé
Paolo
Francesco Leccia, dit Moglione,
fils de Marco Maria, Andrea
Santamaria
du Montaggione, sa femme Gloria
Santamaria et un de leurs trois fils : Francesco Antone
Santamaria, dit Totto,
24 ans.
Seront incarcérés par la suite deux autres fils
d’Andrea et Gloria : Pietro
Maria Santamaria et l’abbé
Joseph Santamaria, puis Domenico
Cermolacce, 25
ans, fils de Giovan Giacomo,
et son cousin Renuccio,
surnommé Il
Rosso, 33 ans, fils d’Andrea. Ces deux derniers sont
volontaires
au service des Français dans la compagnie du capitaine Jean-Christophe (Cermolacce, 34 ans), Francesco Stefano Leccia
(beau-frère de Renuccio),
Don Pietro Leccia,
23 ans,
laboureur-vigneron, fils de Stefano,
Maria Santamaria,
veuve
d’Antoine du
Montaggione, Santo, fils
de Bernardino, volontaire, Paolo Santo Leccia,
50 ans, q. Antoine Marie,
volontaire, Pietro
Antone, dit Totto
et trois frères du Poggio eux aussi
volontaires à la solde du Roi dans la compagnie de Jean
Christophe Cermolacce : Giovanni
Camillo Guidoni, 33 ans, Giovanni
Santo Guidoni et Giovanni
Guidoni, 26 ans.
Il ne faudra pas plus de quelques jours au Comte de Marbeuf, toujours
prompt à charger les accusés, pour adjoindre aux
qualificatifs de conspiration et de complot contre le service
du Roi celui de crime de lèse majesté. Ce dernier permet
l’utilisation d’un article d’une Ordonnance rendant
tous les accusés, y compris les civils, passibles du Conseil de
guerre et répond à la mise en oeuvre "d’une justice
plus éclatante".
Outre le chef de la prétendue conspiration, l’abbé Saliceti,
d’autres habitants sont catalogués comme
étant passés du côté des rebelles. Nous
trouvons tout
d’abord son neveu, Orlando
Saliceti q. Giovan Anto,
mais aussi Giovan Domenico
Saliceti (président) q. Don Jean et son
frère, Don Tomaso,
Andrea Saliceti,
fils du capitaine Virginio,
Pietro Saliceti,
(président), fils d’Angelo
Matteo, Giovan
Teramo fils d’Ignazio,
Giovan Domenico
Santamaria, dit San
Fiorenzo, fils d’Andrea
(4ème frère), Giovan
Giacomo
Costa fils de Francesco
Saverio, Giacomo Leccia
q. Pietro, Giovan
Giacomo Leccia, tous deux beaux-frères de Don Pietro Leccia, Paolo Francesco
Clavesani q. Giovan Filippo, Domenico Francesco
Clavesani, Pietro Maria
q. Anto Giudice, de Guado in Là. Ces
deux derniers cités devaient conduire un détachement de
Nationaux à travers les bois de Suariccie.
D’autres encore seront cités au fil des témoignages
: Joseph Santo Leccia,
fils de Domenico Paolo,
volontaire dans la
compagnie du capitaine Francesco
Maria Leccia, deux frères de
Guado in Là : Giuseppe
Maria et Bartolomeo q.
Dominique, Domenico
Agostini, Mathieu
Agostini, capitaine de Paoli, fils d’Agostino
ainsi que Angelo Francesco
du Poggio et ses deux fils : Agostino
et Domenico, Giovan Giacomo Cermolacce,
père de Domenico
un des
quatre volontaires, Pelone,
Pasquino, Giovan Carlo, Papaolo de Guado in
Là. Santo, fils
de Bernardino, Memo, fils de Cesareo, du Poggio,
tous deux volontaires, et Francesco
Leccia, dit Cecco,
q. Gioan Gilio.
Le jugement des prisonniers et des contumaces est rendu le 17 juillet
1769. Le président du tribunal est l’intendant Chardon,
accompagné de dix membres de la magistrature et de
l’armée : Jean-Joseph
Baude, rapporteur, Jean-Aimé
de l’Isle, régisseur général des
vivres en
Corse, François de
Maupassant, commissaire des guerres, Jean-Etienne Delaitre, Louis-Antoine
Drolenvaux, commissaire des
guerres, Jacques-Robert de
Montcarville, commissaire des guerres, Henri-Artus de
Manscourt, Jean-Baptiste
Collet de Messine, Etienne-Louis
Ponce
Serval et Jean- Antoine
Tisset de la Motte,
commissaire des guerres. Pierre-Ambroise
Chambellan tient le rôle
de procureur général, et Mathieu Cristofari celui
d’interprète.
Comme il est d’usage à cette époque, les
condamnés subissent après le jugement des interrogatoires
et des tortures avec la question ordinaire, dite des canettes, et la
question extraordinaire, dite de la corde.
L’exécution du jugement intervient le lundi 25 septembre
1769, en soirée. cinq habitants du village sont rompus vifs sur
la place du couvent. Ce sont Don
Pietro Leccia, Francesco
Antonio Santamaria
dit Totto, Jean Camille Guidoni, Jean Guidoni et Dominique Cermolacce.
C’est à ce moment qu’intervient l’acte
courageux de celle que l’on nommera par la suite l’antigone
Corse, Maria Gentile Belgodere,
âgée de 22 ans,
fiancée vraisemblablement à Giovanni Guidoni. Maria
Gentile est la fille de Maria
Catharina Leccia, 50 ans, veuve.
Dans le courant de l’été 1769,
l’administration (militaire) française procèdera
à un dénombrement de la population (et du cheptel). Le
résultat obtenu est sans équivoque. A Oletta sont
recensés 87 feux et 77 demi feux.
Une proportion inhabituelle !
En effet, nous avons effectué quelques sondages dans les pieve
de Ghjunsani, Niolu, Caccia et celles du Cap Corse. Pour ce qui
concerne les demi-feux, on trouve une fourchette de 30 à 50%. A Oletta,
l’on approche les 90%. A Vallecalle
le résultat
est encore plus significatif : 22 demi-feux et 24 feux.
Toujours à Oletta,
l’on recense 119 hommes pour 184
femmes. 62 d’entre elles sont veuves. 9 sont âgées
de plus de soixante ans. les 53 autres (sauf une) ont des enfants en
bas âge, dont 6 sont âgés d’un an ce qui
implique la présence d’un père dans les deux ans
précédents tout au plus. Il apparaît que les
familles les plus touchées portent les patronymes Saliceti, Leccia, Santamaria, Clavesani, Guidoni et Agostini.
La cause de cette absence quasi généralisée est
connue. Un nombre conséquent des hommes du village a pris partie
pour Pasquale de’Paoli(3)
. Ils ont participé à
l’attaque de Barbaggio.
C’est le cas de l’Abbé
Pietro Saliceti, Giovan
Domenico Saliceti, Don
Tomaso Saliceti, Andria
Saliceti, Rolando
Saliceti, Giovan Teramo,
Giovan Domenico
dit San Fiorenzo,
fils d’Andrea Santamaria,
Giovan Giacomo Costa,
Giacomo Leccia,
Pietro Maria q.
Anton Giudice de Guado in Là, Paolo Francesco
Clavesani, Bartolomeo
et Giuseppe Maria de
Guado in
Là, Santo Leccia,
volontaire, Angelo Francesco
Agostini de
Poggio et ses deux fils Agostino
et Domenico.
L’issue de l’attaque de Barbaggio tourne à
l’avantage des français. Les soldats du Roi font
prisonniers environ 300 hommes. Si l’on connaît le sort
réservé aux 232 prisonniers Corses de Patrimonio et de Nonza en
août 1768, aucune trace n'a été trouvée pour
ceux de Barbaggio.
Le même jour, toujours à Barbaggio, 300 autres Corses
sont
tués dont l’abbé Saliceti. La plupart ont
été égorgés si l’on en croit le
récit français.
Comme tant d’autres villages, Oletta aura ainsi
contribué
à la cause nationale Corse et le tribut payé par ses
hommes sera lourd, très lourd.
Jacques DENIS
(1) Les
Français
qui avaient étudié le terrain dans le moindre
détail, établiront 16
voies de communication, dont le point de départ est
Saint-Florent,
couvrant l’île au nord du Golo. Au moins cinq
d’entres elles,
relativement aisées et larges, passaient par Oletta, le Poggio
ou Guado
in Là avant que de franchir Bocca A Torre ou Bocca di Sant
Antonio, à
l’Est ou se diriger vers Olmetta au Sud.
(2) La Corse,
précis historique des origines à 1796, Verard. Tome I,
page 91.
(3)
Ce n’est pas une nouveauté. Par exemple, Michele
Montalti et Domenico
Francesco Clavesani comme l’un des Boccheciampe (Pietro ?) ont participé
à des actions militaires depuis le début des
années 1760.
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