Nous savions Evelyne
Luciani affairée depuis plusieurs mois à une
traduction de la célèbre Giustificazione de Don Gregorio Salvini,
prêtre corse,
personnage illustre de la Balagne,
originaire du village de Nessa,
au sujet duquel l'auteur nous avait
livré une riche biographie en 2006 dans l'ouvrage collectif Trois prêtres
balanins au coeur de la
révolution Corse.
Nous attendions,
impatiemment bien sûr, une
publication.
C'est
désormais chose faite.
Edité
dans la collection "Corse des Lumières"
dirigée par Dominique
Taddei, l'ouvrage est intitulé : Don Gregorio Salvini,
Justification de la Révolution de Corse.
Combattue par les réflexions d'un Génois,
l'évêque Pier
Maria Giustiniani. Et défendue par
les observations d'un Corse, Buonfigliolo
Guelfucci.
Evelyne Luciani en
a assuré la traduction, la
présentation de la dernière édition de
1764 et les notes.
Dès
l'introduction de sa présentation, l'auteur
souligne parfaitement la doctrine ou plutôt les
principes - de notre point de vue, au sens de la doctrine
débarrassée des
dogmes de l'église catholique - imposés par le dominant.
Principes qui
soustendent deux idées clés modernes :
révolution et droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes. Suivent la présentation des deux parties dont
Evelyne Luciani
met
en évidence la structure très
élaborée. Nous atteignons grâce à
ce travail méticuleux un degré de perception
élevé de la théorie justificatrice visant à
atteindre les usurpateurs
génois. En outre, à travers l'étude de nombreux
articles des Règlements et Concessions Génois, bases de
servitudes ou de contestations des insulaires, la révolution de corse non seulement
se justifie, mais elle s'externalise en tant que
principe
international. En 1749, le marquis de Cursay, coupable d'avoir
déporté près d'une cinquantaine de jeunes Corses sur les
galères françaises à Marseille,
n'écrivait-il pas - texte prémonitoire ? - en
évoquant son ardent désir de voir éradiquer la
révolte des Corses
: " La soif d'indépendance en est la
cause générale et on ne l'anéantira qu'avec
l'exercice de la justice la plus impartiale et la plus rigoureuse qui
barrera la route à l'impunité, même pour les plus
riches et pour les plus puissants" (page 518).
Au point des conclusions de sa présentation, Evelyne Luciani pose "la force
de
l'argumentaire thomiste des révolutionnaires corses" et la fin
de non recevoir française. Mais dès lors, et
même après la
défaite militaire et l'annexion française, les choses ne
seront plus comme avant. "Une brèche était ouverte dans
la théorie du droit divin des princes".
Le livre poursuit par
un imposant appareil critique de textes,
observations, réflexions et notes : un guide de lecture, la
justification de la Révolution de Corse, un avertissement au
lecteur traitant notamment de la difficulté pour les Génois
d'identifier les auteurs de la Giustificazione.
Suivent
une préface et un plan de l'oeuvre ; la préface de
l'antijustificateur (Giustiniani)
dans laquelle sont
insérées les (importantes) réflexions du
padre Buonfiglio Guelfucci
; une dissertation préliminaire de
l'antijustificateur autour de l'histoire de la Corse de Filippini ;
l'introduction du justificateur ; la réponse de
l'antijustificateur ; la première partie consacrée
à l'article premier, proposition unique (en 26 points) du
justificateur ; la réponse de l'antijustificateur ; puis les
huit chapitres traitant des propositions du justificateur, chaque
proposition recevant la réponse de l'antijustificateur ; la
seconde partie est composée de 5 chapitres comportants
l'argumentation du justificateur et les réponses de
l'antijustificateur - notons au passage, le développement
savoureux - il y en a bien d'autres - d'une réflexion toujours
d'actualité "Celui qui
comprend l'italien ne trouve pas étrange la doctrine qui
distingue le sens de deux mots, prendre et usurper".
L'ouvrage se termine
par un glossaire, une bibliographie et un
index des personnes.
Nous
regretterons seulement que le texte original en italien n'ait pas
été publié. Est-ce un choix ou est-ce du à
des contraintes éditoriales ? Il en est de même pour
l'absence d'un index des noms de lieux.
Mais,
à dire vrai, nous sommes impressionné par la
somme du travail réalisé, tant par son volume que par son
contenu.
Remercions Evelyne Luciani
: plus de 550 pages consacrées à la Giustificazione dénotent
un important labeur, des recherches multiples et une
analyse fine que le texte original et ses contributeurs
méritaient enfin.
Justement,
en guise de conclusion, Buonfigliolo
Guelfucci ne
faisait-il pas appel "au libre discernement des lecteurs... Ils se
feront une opinion par eux-mêmes et verront si elle mérite
des applaudissements ou le profond mépris que l'Adversaire lui
oppose... Nous laissons au public qui est seul juge, le droit de
décider si nous y avons bien ou mal réussi".
L'ensemble
emporte notre conviction : nous adressons des
applaudissements posthumes à Don Gregorio Salvini et
à Buonfigliolo Guelfucci
et nous sommes certain que le corpus traduit et
présenté par Evelyne
Luciani fera
référence pour le grand bien de l'histoire de la Corse.
Jacques Denis
|