Isulacciu di u Fium'Orbu, juin 1808

Les autorités civiles et militaires impliquées



Valentini Filippo Francesco, maire d'Isolaccio di Fiumorbo.

En l'an XII, il avait été nommé par le général Morand en tant que lieutenant d’une des compagnies de chasseurs corses.

En 1807, l'intéressé est proposé par Morand comme maire. Mais il « n’avait point fait preuve de bonne volonté ». Il avait, par contre donné « toutes les certitudes d’insuffisance »

Il n'en reste pas moins que le maire sera lui aussi déporté. Alors qu'il est emprisonné à Embrun, il tente d'intercéder auprès des autorités en faveur de ses concitoyens incarcérés. Son courrier évoque entre autres : « … Un prêtre arraché de l’autel, cent septante cinq (175) malheureux traînés sans délits, sans jugement, parmi lesquels vingt malheureux septuagénaires et octogénaires, sans hardes, sans argent… ». Une mesure « … Qui n’était pas dictée par la justice, mais par la passion haîneuse… ». S’adressant « au monarque » : « … Il ne voudra pas que, quand la France jouit des bienfaits de sa justice, une portion de sa patrie souffre sous le glaive du despotisme et de la tyrannie »

Au sujet des arguments avancés par le maire d'Isolaccio, on examinera par ailleurs la question des octogénaires à la page concernant l’étude du nombres et de l'âge des déportés.

Filippo Francesco Valentini a été incarcéré dans la prison civile de Toulon du 1er au 21 septembre 1808. Après avoir été emprisonné à Embrun dès la fin du mois de septembre 1808, il a été transféré dans le département de la Drôme le 12 juillet 1809. Au mois de décembre 1809, il était employé, avec Don Dumenicu Colombani, chez monsieur Besson Desblains, maire du village d'Albon dans le département du Vaucluse

 

Pietri Antoine-Jean, préfet du département du Golo.

Dans un premier temps, le préfet excuse le maire Valentini arguant que « Dans une commune résultante (sic) de cabanes éparses dans des gorges de montagnes et au milieu des bois, on ne pouvait espérer mieux ».

Au mois de juillet 1808, le préfet Pietri assure que « Tous les rapports que j’ai reçus jusqu’à ce jour me confirment dans l’assurance que la mesure de rigueur dont je viens de vous informer produira des effets salutaires propres à ramener les habitants du Fiumorbo à l’esprit de soumission et de docilité qui caractérise les autres administrés du département ».

« 1° les habitants d’Isolaccio, soit pour ne pas payer les contributions, soit pour dévaster avec leurs bestiaux les biens d’autrui et en jouir gratis, donnaient annuellement des inquiétudes à l’administration de la police et à la justice ».

« 2° Le général Morand a été pendant cinq ans leur bienfaiteur et leur protecteur, au point que dans des conférences particulières, plusieurs fois je crus de mon devoir de lui faire observer que ces paysans abusaient de ses bontés ».

« 3) malgré toutes les peines qu’il s’est données pour les porter à devenir des citoyens paisibles, ils se montrèrent toujours plus insolents, pensant peut-être que le peu de troupes qui se trouvent dans la 23e division militaire n’étaient pas capables de les contenir ».

« Je ne saurais pas entrer à discuter sur le degré de culpabilité de chacun des individus. Le fait est que la conduite des habitants d’Isolaccio a été de nature à entraîner des troubles dans les autres communes, si en général ces habitants n’eussent été méprisés et regardés comme des véritables brigands. Aussi le département a vu avec satisfaction qu’ils avaient subi une punition exemplaire ».

Le Baron de La Doucette, préfet du département des Hautes-Alpes.

Le 28 décembre 1808, dans un courrier : « Quand ils arrivèrent [à Embrun] comme un troupeau, exténués, presque sans vêtements, ils se trouvèrent attaqués « par une maladie occasionnée par les fatigues de la route, le séjour dans les prisons, le chagrin et l’abattement d’esprit ».

Le 4 février 1809, le Baron de la Doucette ajoute « leur malpropreté dégoûtante, leur nudité presque entière, leur moral fortement attaqué ».

Mais le préfet des Hautes-Alpes sait aussi être humain et se distingue des autres personnalités qui portent des jugements abrupts au sujet des prisonniers : « les enfermer ainsi en masse dans une maison centrale, c’était les exposer à une mort certaine ».

Le général Berthier, ministre de la guerre. 

Le 12 prairial An XI [1er juin 1803], le général Alexandre Berthier, ministre de la guerre :

« Citoyens consuls,

Je vous soumets un projet d’arrêté pour la levée de cinq bataillons [un peu plus de 500 hommes par bataillon] d’infanterie légère Corse destinée à être employés dans cette isle. Cette levée ne peut se faire que par enrôlement volontaire à prix d’argent. J’ai pensé que la durée de l’engagement devait être de trois ans, le prix de l’enrôlement de 36 # et que la composition, deux bataillons, ainsi que leur solde et leur administration devaient être modifiées suivant ce qui convient le mieux aux localités. »

Source : A. N. AF IV 1372

3 compagnies sont stationnées dans le Fiumorbo.


La rémunération des militaires

Compte tenu de la situation économique et sociale en Corse, la solde des militaires est un facteur non négligeable de prise d'intérêt particulier. On le comprend aisément en examinant par exemple, l'article 3 du texte référencé ci-dessus qui prévoit en matière de rémunération des officiers des sommes considérables pour l'époque : 2 000 F. pour les chefs de bataillon ; 1 800 F [François Bonelli de Bocognano commande le 1er bataillon]. pour les capitaines ; 1 400 F. pour les lieutenants ; 10 sous par jour et une ration de pain pour les soldats.

Le 21 prairial An XI [10 juin 1803], le général Morand transmet l’instruction de mise en application du texte précité aux préfets du Golo et du Liamone.

C'est alors que des colonnes mobiles interviennent [voir ci-dessous] dans les deux départements corses pour capturer les déserteurs et les bandits.

Le général en chef Joseph MORAND

Le général Joseph Morand commande la 23e division militaire en Corse depuis le 22 décembre 1801.

La Corse est placé hors Constitution. Par décret du 12 janvier 1803, Morand est investi des pleins pouvoirs civils et militaires. Il dispose en particulier des pouvoirs de haute police.

En outre, il tente d'appliquer l'arrêté de désarmement général de l’île et il suit à la lettre les instructions du Premier consul : « les deux départements fournissent une grande quantité de bons soldats… Procurez-vous des recrues par tous les moyens ».

En pratique, la méthode employée consistait à faire occuper un village par une colonne mobile ; dans les 5 jours les habitants devaient livrer les coupables, plus 50 à 100 fusils et 50 à 100 stylets. Pour gage de garantie d’exécution, les notables étaient détenus dans l'attente de la soumission du village. Il disposait alors de tous les pouvoirs pour arrêter, par exemple, que « tous les prévenus d’assassinats commis en Corse pour cause de vendetta ou sur la personne d’un fonctionnaire public, seraient jugés par une commission militaire ».

Dans ses mémoires, Siméon de Buochberg résume bien le personnage : " Le général Morand fut un véritable dictateur, dur et tyrannique, mettant à exécution les pires décisions qu’il pouvait prendre lorsqu’elles pouvaient atteindre des familles suspectes de ne pas aimer les Français. Il gouvernait en despote et ne souffrait aucune contradiction. Il avait la manie de voir partout, et dans les moindres évènements, l’ingérence anglaise et il prêtait l’oreille aux plus basses dénonciations."

Bonaparte / Napoléon

Premier consul (1800-1804), puis empereur des Français (1804-1815).

Dès le lendemain de sa prise du pouvoir en France, le 18 brumaire, Bonaparte met la Corse « hors la Constitution ». Il inaugure un état de siège qui durera jusqu’en 1830.

Les libertés publiques sont suspendues. Bonaparte prescrit de réprimer sans faiblesse tout désordre au moyen d’une colonne mobile de sept à huit mille hommes qui parcourra le pays.

« Vous ferez voyager cette colonne dans tous les quartiers où il y aura trouble. Elle aura à sa suite un tribunal extraordinaire qui fera exécuter sur-le-champ les assassins et les voleurs ou les provocateurs à la rébellion. Ce n’est qu’en s’annonçant par un acte de rigueur que le commissaire du gouvernement pourra ramener la tranquillité dans ces départements ».

Paris, 9 avril 1803, au général Morand, commandant la 23e division militaire

"Dans le rapport que me remet chaque semaine le ministre de la guerre sur tous les événements militaires et de police qui se passent dans les divisions, il n'est presque jamais question de la vôtre.

Je suis instruit de toutes parts de la famine qui désole votre division. Il y a plus de quatre mois que le ministre de l'intérieur a envoyé du Havre un convoi de 90,000 quintaux de blé; il y a plus d'un mois qu'il est arrivé à Bastia. Cependant je n'entends pas que cela ait soulagé le pays.

La 23e légère restera encore sous vos ordres; ce qui, joint aux deux bataillons de la 20e, à la demi-brigade helvétique et à la gendarmerie, doit vous former une force suffisante pour maintenir l'ordre.

Je vois avec peine que votre division n'a encore fourni aucun conscrit. Faites-les partir sur-le-champ, et employez pour cela toutes les mesures de rigueur convenables. Employez aussi tous les moyen pour vous procurer des recrues,

Le ministre de la marine a ordonné la levée de 2 à 300 matelots.

Deux à trois cents Maltais doivent être rendus en Corse. Faites-moi un projet dont le but serait de leur distribuer des terres qu'ils cultiveraient, et d'améliorer leur position. S'il y avait là quelque chose d'exécutable, j'y enverrais les trois cents Grecs que j'ai ramené d'Égypte et qui composent le bataillon qui est en Provence ; et, s'il était nécessaire de leur donner quelques noirs pour défricher les terre cela formerait un bel établissement, qui serait fort bien placé dans quelque petite anse.

Le Corse est revêche, mais au fond juste. Parlez avec eux et ayez la patience d'écouter ce qu'ils vous diront; mais soyez un peu sévère dans les fonctions qui vous sont attribuées."

   

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