Isulacciu di u Fium'orbu, juin 1808

Les faits à l'origine des évènements


Source : conférence de Jacques Denis, 9 juin 2012

Préambule

Entre l’annexion militaire de la Corse en 1768-1769 et les évènements du Fium'Orbu, un peu plus d'une trentaine d’années se sont écoulées. La première phase de vive résistance corse à l'occupant a duré six ans, de 1768 à 1774. Depuis, la Corse a subit dix-sept années de crises de subsistance de type Ancien Régime, dont cinq années de stérilité sur le plan agricole. La population a été atteinte par une série d’épidémies. La France a mis en œuvre quatre réformes fiscales inapplicables. La Corse a connu les répercussions de la Terreur appliquées de la même façon que sur le sol français alors que le clergé corse n’est en rien comparable à celui de la France : les prêtres corses sont des gens du peuple, issus des familles insulaires. Eux n’accumulent pas de richesses. Cette situation intolérable a conduit dix ans auparavant, en 1794, au Royaume Anglo-Corse [et sa Constitution remarquable, notamment sur l'aspect des libertés humaines]. La tentative a avorté mais elle reflète bien l'état d'esprit du peuple corse et de ses dirigeants. La crise est profonde et de plus en plus de Corses s’opposent aux autorités. L’île échappe à l’administration française.

En 1797, le Fiumorbo [Source : « Ni blancs, ni rouges, la cas du Fiumorbo en Corse, F. Pomponi. Actes du colloque, Midi rouge, Midi blanc, Avignon, 1986. Provence Historique. Fascicule 148, 1987. pp. 205-216.] est frappé par une épidémie, « une sorte de peste » contractée lors du pillage d’un bateau barbaresque qui avait fait naufrage dans les parages. Les deux anciennes pieve de Cursa et de Covasina sont touchées et les habitants meurent comme des mouches. Un véritable cordon sanitaire est établi pour isoler la région. Les cabanes de bergers, « tuguri », sont brûlées à Solaro. En 1798, naît une révolte, la Crucetta. En juillet 1799, les Fuorisciti [exilés] de Toscane et de Sardaigne préparent un plan de reconquête de l’île. Le premier débarquement de 200 à 300 émigrés est signalé dans le Fiumorbo par le rapport du général Ambert [Cité par P.P. Santini, « Etat de la Corse en 1800 d’après les rapports de l’autorité militaire », dans mélanges d’études corses offerts à Paul Arrighi, Aix, 1971.]

En décembre, ils sont 700 à 800 insurgés dans la région de Porto Vecchio, la ville capitule après quatre jours de combats.

Plus de deux mille insurgés sont sous les armes à Moriani. Quinze cents partisans occupent Belgodere en Balagne où ils fusillent quatre collaborateurs. Les représailles sont sévères. Les villages d’Ornaso, Isolaccio et Prunelli sont brûlés par le bataillon du colonel Fischer. Le général Aubigeois est dans La Rocca où il incendie les villages de Zonza et San Gavino. Dans le Moriani, le général Ambert, à la tête de deux mille hommes de troupe, donne l’assaut au village de Forci. En Tavagna, précisément à Velone Orneto, les maisons sont saccagées, un vieux prêtre est torturé et tué. A Poggio Mezzana, les soldats violent les femmes du village, tuent les enfants et les vieillards, incendient les maisons. Le couvent de Talasani et vingt-trois maisons du village sont livrés aux flammes. Une colonne de 2000 hommes est chargée de nettoyer la Balagne. A Belgodère encore, soixante maquisards sont tués au cours des engagements. Treize patriotes sont fusillés sur ordre de Saliceti. Barthélemy Arena, à la tête d’une compagnie de grenadiers fait raser des maisons à Santa Reparata di Balagna, Aregno et Corbara. Le général Cervoni évoquant le Fiumorbo, dira l’année suivante « les habitants de cette affreuse contrée qui vivent comme des arabes depuis qu’on a brûlé leurs habitations... Le mécontentement est général. La Corse a reculé depuis la Révolution d’un siècle vers l’état de nature ».

Entre les années 1800 et 1803, la Corse vit une crise agricole sévère, avec de mauvaises récoltes de grains et de châtaignes dues aux effets des ouragans. Celui du 26 floréal a dévasté les récoltes de céréales à Ajaccio, Sartène et Vico. La hausse du prix du pain atteint 40%. En outre, une série d’épidémies meurtrières atteint les populations : dysenterie, typhoïde, paratyphoïde et paludisme.

La population corse subit la disette. La majorité, en état de pauvreté « une large troupe de mendiants », en est réduite à consommer de « l’ail sauvage, du fenouil et des feuilles de choux » qui « forment toute leur nourriture ».

Au début de l’année 1801, Bonaparte désigne Miot pour « suspendre la Constitution sur l’île de Corse ». Ce personnage dispose de tous les pouvoirs, y compris celui de prononcer la peine de mort. Miot établira des tribunaux criminels extraordinaires qui jugeront sans appel.

Un exemple : la colonne d’Eclaireurs du département du Liamone, cantonnée à Olmeto le 21 mai 1801, exécute les ordres du préfet Jean-Baptiste Galeazzini. Des ordres explicites : la colonne doit commencer sa « tournée » par les cantons de Mezzana et Celavo. Une « apparition de la troupe est salutaire » dans chaque commune. Les villages mentionnés sont catalogués sans appel, etl celui de Peri : « cette commune est le réduit de bien mauvais sujets qui depuis le commencement de la révolution n’ont cessé de troubler la tranquillité publique ». Cuttoli-Corticchiato : « recèle des voleurs ». Carbuccia, Tavaco, Vero, Ucciani et Tavera « jouissent de la même réputation » que Peri. Tavera « fourmille de voleurs ». Bocognano échappe à la sentence, non par sa réputation, mais parce que « la plus grande partie des habitants sont aux plages ». Appietto : « est coupable pour receler ordinairement des scélérats ».
 

Dans le canton de Sanpiero, « toutes les communes ont besoin d’une visite ». Dans les quatre communes inférieures, « il se trouve beaucoup de petits voleurs et un plus grand nombre de gens insubordonnés qui affectent de méconnaître le gouvernement ». Bastelica : « recèle beaucoup de voleurs ».

Le canton d’Ornano « est l’endroit où le fanatisme de la religion fait le plus de mal à la tranquillité publique ». Le Préfet recommande d’ailleurs d’y mettre à exécution « les mesures et voies de rigueur » employées dans l’arrondissement de Vico.

Enfin, dans le canton de Talavo, la commune de Palneca « est connue pour être le berceau d’un grand nombre de voleurs ».



Les faits à l'origine des évènements du Fiumorbo en 1808

Pour tenter d'expliquer les actions répressives de l'autorité centrale en 1808 dans le Fium'orbu plusieurs versions des faits à l'origine des évènements ont été avancées.

Les autorités indiquent que dans la nuit du 21 au 22 mai 1808 un groupe d'hommes armés a attaqué la caserne de gendarmerie à Prunelli-di-Fiumorbo. Cette version passe sous silence les causes originelles et laisse imaginer un acte relevant de la génération spontanée. Elle est reprise par le révérend Don Jean-Baptiste Gaï qui évoque « une violente fusillade ».

Léonard de Saint Germain note que le général Morand, commandant en chef chargé de la Haute-police et revêtu de pouvoirs extraordinaires par l'Empereur Napoléon, se défiant des autorités civiles et militaires locales dépêcha sur place un officier de gendarmerie. La population indignée d’une telle mesure à ses yeux non justifiée se groupa et attaqua la résidence de cet officier de gendarmerie.

François-Guillaume Robiquet corrobore cette présentation en ajoutant que le général Morand avait été informé que les Anglais recrutaient des hommes dans le Fiumorbo.

Une autre version, non étayée par des documents, indique que les faits trouvent leur origine dans des jalousies, querelles et dénonciations réciproques mettant en lice des notables et autorités locales.

Une énième version fait état d’une tentative d’enlèvement de conscrits réfractaires arrêtés par les gendarmes. Il est vrai que la situation militaire exceptionnelle et les questions de conscription sont alors prégnantes en Corse. Cet aspect est développé par Siméon de Buochberg qui mentionne dans ses mémoires que le Fiumorbo regorgeait de contumaces et que l’affaire s’est déroulée à partir de cette situation sur fond de négociation de soumission des personnes en infraction.

Quasiment toutes les versions convergent vers l'attaque de la caserne de gendarmerie de Prunelli di Fiumorbo.

   


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