Isulacciu di u Fium'Orbu, juin 1808

Le procès de Bastia



Le 4 août 1808, dans une salle du donjon de la citadelle à Bastia, se réunit la Commission spéciale militaire de la 23e division militaire. Elle est composée de 6 militaires.

Les juges militaires sont assistés d’un gendarme greffier et d’un interprète.

Composition de la Commission militaire (par application du décret impérial du 17 messidor an XII) : Dubalen, chef de bataillon, adjudant des côtes, président ; Moniot, chef de bataillon, commandant d'armes à Saint Florent ; Poli, capitaine-commandant de la 1ere compagnie du bataillon du Liamone [selon certaines sources, Poli se serait rendu à Isolaccio où il aurait enquêté et aurait établi un rapport] ; Inglemann, capitaine adjudant de place à Bastia ; Serra, lieutenant de gendarmeire au 51e escadron ; Edeline, lieutenant-major au 1er bataillon du Golo ; les cinq noms précités étant membre de la commission militaire. Labruyere, capitaine de la 99e compagnie de cannoniers gardes-côtes, membre de la commission militaire et rapporteur. Brulard, gendarme au 51e escadron, greffier nommé par le rapporteur. Lombard, domicilié à Bastia, interprète nommé par le rapporteur.

Il s’agit d’une « justice » expéditive. Pour preuve l’abondance des pièces du procès touchant les 34 accusés : un procès-verbal d’information et seulement 3 autres pièces ! Quatre des hommes,  Charles-Baptiste Marcangelli, Pierre-Saint Alessandrini, Jean-Etienne Pietri et Padovano Pietri sont accusés de délits ou de crimes - Il sont "prévenu d'être voleur public et de plusieurs assassinats" ou seulement "voleur public" ou "voleur de grand chemin" pour les deux derniers cités - qui n'ont rien à voir avec les raisons du procès. En outre, le délibéré est à huis clos, tous les témoins sont à charge, et le jugement est exécutoire dans les 24 heures.

Le chef de bataillon Dubalen, président de la Commission militaire spéciale, a posé les questions suivantes :

1° – Y-a-t-il eu dans la journée du 21 au 22 mai dernier, dans le canton du Fiumorbo, une insurrection tendante à troubler la tranquilité publique ?

2° – Y-a-t-il eu un attentat contre la force militaire ? Cet attentat a-t-il été commis, à main armée, contre la force militaire préposée au maintien du bon ordre ?

3° – Dans les circonstances actuelles où la Corse se trouve entourée de nombreux armemens ennemis, où des espions et embaucheurs Anglais s’y sont introduits, ce mouvement insurrectionnel ne pouvoit-il pas avoir les suites les plus fâcheuses, et compromettre la sûreté de l’Isle ?

4° – Les nommés… [ Il s'agit de 9 des accusés présents qui seront condamnés à mort et exécutés : Charles Jean Laurelli ; Simon Brando Colombani ; Joseph Antoine Alessandri ; Ange Michel Micaëli, Pierre Saint Alessandri ; Antoine Philippe Micaeli ; Jean Etienne Pietri ; Charles Philippe Manfredi ; Paul Saint Leandri dit Giacomi ; auxquels il convient d'ajouter 8 accusés contumaces qui seront condamnés à mort mais non exécutés : trois Achilli (Anselme, Antoine-Marie et Pierre-Mathieu), Angeli Marc-Aurèle, Gambotti Paul-Martin, Giudicelli Jules-Pierre, Vittori Romolo et Martinetti Don Jules. Ce dernier est le fils de l’ancien juge de paix.] ne sont-ils pas les premiers coupables du complot insurrectionnel qui a eu lieu dans la journée du 21 au 22 mai dernier ?

5° – Les dénommés ci-dessus, ont-ils fait pour comprimer ce mouvement insurrectionnel tout ce qui étoit en leur pouvoir, en usant des moyens qui étoient à leur disposition, qui consistoient, d’abord, dans l’influence qu’ils ont, de tous tems exercée, dans le pays ?

6° – Les dénommés ci-dessus ne sont-ils pas les premiers auteurs et moteurs de l’insurrection, à main-armée, qui a eu lieu, dans la nuit du 21 au 22 mai dernier, dans le canton du Fiumorbo, contre la force armée préposée au maintien du bon ordre et de la tranquilité publique ?

7° – Les dénommés ci-dessus ne sont-ils pas coupables de conspiration contre la sûreté de l’Etat ?

Le 5 août 1808, à une heure du matin, la commission militaire spéciale déclare, à l’unanimité de ses membres et président, que les dénommés ci-dessus sont tous coupables. 17 condamnations à mort sont prononcées [liste nominative ci-dessus], en vertu de l’article 2, de la deuxième section du titre premier des crimes contre la sûreté intérieure de l’État, du code pénal du 6 octobre 1791. Cet article 2 mentionne : « Toute conspiration et complot tendant à troubler l’État par une guerre civile en armant les citoyens, les uns contre les autres, ou contre l’exercice de l’autorité légitime sera punie de mort ».

De plus, les 17 sont condamnés solidairement aux frais de la procédure et d’impression, tant en Français qu’en Italien, du jugement qui sera affiché en 600 exemplaires, ce en vertu de l’article premier de la loi du 18 germinal an XII.

Pour ce qui concerne les 17 autres accusés non condamnés à mort, « La commission militaire spéciale, considérant, qu’elle n’a point acquise de preuves suffisantes sur les délits dont ils sont prévenus les renvoye pardevant Monsieur le Général en chef Morand, chargé de la haute police en Corse, en vertu des pouvoirs dont il est revêtu par S. M. l’Empereur et Roi, pour être statué sur leur sort. Ces 17 hommes sont : Pierre-François Colombani, Jacques-François Vittori, Angelucci Paoli, François Gambotti, Charles-Baptiste Marcangeli, Saint Defendini, Charles-Baptiste Tiberi, Ange-Michel Bartoli, Jean-Saint Bartoli, Jacob Leandri, Dom Benoit Leandri, Pierre-Antoine Peraldi, Padovano Pietri, Simon-Paul Manfredi, Antoine-Philippe Piazzole, Paul-Dominique Pietri et Nicolas Paoli. Il est à noter que cette procédure est la même que celle employée en 1774 en Corse par le comte de Narbonne et signifie une déportation.

Le jugement est aussitôt signifié aux condamnés et aux acquittés.

Cinq heures plus tard, le 5 août 1808 à 6 heures du matin, à Bastia, place de Corte, intervient l’exécution du jugement : les 9 condamnés à mort présents au procès sont passés par les armes en présence de la garnison de Bastia.

   

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